Juan Sebastián Elcano

LES MOLUQUES



Les deux navires font différentes escales de ravitaillement. Carvalho est destitué par ses compagnons et remplacé par Gómez de Espinosa, Juan Sebastián Elcano devenant capitaine de la Victoria. Grâce à des pilotes locaux, le 8 novembre 1521, 27 mois après leur départ de Séville, les deux navires atteignent Tidore, dans les Moluques, les îles des Épices.
Là, ils constatent la présence des Portugais. Francisco Serrão, l'ami de Magellan, qui était devenu conseiller du roi de Ternate, est mort depuis peu. Après avoir acquis une grande quantité de clous de girofles, ils décident de rentrer au plus vite en Espagne. Une voie d'eau s'étant déclarée sur la Trinidad, Espinosa décide qu'elle serait calfatée sur place. Ce navire ne reprendra la mer que plus tard, tandis que la Victoria tentera seule le retour par la route africaine.

GOMEZ DE ESPINOZA, COMMANDANT DE LA TRINIDA

Gómez de Espinosa, alors âgé d'environ 33 ans, originaire de la région de Burgos, avait embarqué sur la Trinidad comme grand officier de justice et avait résolument pris le parti de Magellan lors de la mutinerie de San Julián. Il installe la présence espagnole à Tidore, un petit comptoir commercial dont se chargent cinq de ses hommes. Quand les travaux de réparation sont achevés, il décide de gagner les côtes espagnoles de l'Amérique – une gageure car son navire ne peut pas remonter l'alizé, il lui faudra donc aller chercher les grands vents d'ouest qui soufflent dans les hautes latitudes.
Il reprend la mer le 6 avril 1522, passe par les Mariannes à la mi-juillet puis, par 42° nord, subit une tempête qui l'oblige à revenir aux Moluques. Six mois après son départ, et n'ayant plus à son bord que 17 des 50 hommes qu'il avait emmenés, il jette l'ancre à Ternate. Les autorités portugaises le font prisonnier avec tout son équipage – tout comme elles ont fait arrêter les Espagnols restés à Tidore. Navire, cartes, instruments et livres de navigation sont saisis. La Trinidad coule peu après au mouillage.
En février 1523, après quatre mois de cachot, il est autorisé à entamer un long voyage vers l'Europe, toujours aux mains des Portugais. Il passe cinq mois dans la prison de Malacca et deux ans dans celle de Cochin (sur la côte de Malabar) avant d'arriver à Lisbonne au milieu de 1526, où il est encore incarcéré pendant sept mois. Il n'est libéré que sur la demande expresse de Charles Quint, qui l'honore en lui accordant une rente à vie, un blason où figurent «cinq îles et leurs arbres à clou de girofle» et la charge d'inspecteur «des navires qui vont aux Indes».

LE RETOUR DE LA VICTORIA EN ESPAGNE


Juan Sebastián Elcano part sur la Victoria, en compagnie de 47 Européens, dont le chroniqueur Antonio Pigafetta, et 13 Indiens. Il fait d'abord plusieurs escales, au cours desquelles un certain nombre de marins désertent, préférant les douceurs de la vie des îles aux incertitudes de ce voyage. Il pénètre dans l'Océan Indien le 12 février 1522, faisant un large détour par les hautes latitudes, les quarantièmes rugissants, pour éviter de rencontrer les navires portugais. Il passe Bonne-Espérance le 18 mai et remonte la côte atlantique de l'Afrique.
Le 9 juillet, à court d'eau et de vivres, il se résout à jeter l'ancre aux îles du Cap Vert, déclarant aux autorités portugaises qu'il revenait d'Amérique. Mais il est trahi par les bavardages de l'un de ses marins qui dévoile, lors de l'escale, qu'il appartient à la flotte de Magellan que les autorités portugaises recherchent depuis près de trois ans. Les treize hommes descendus à terre sont arrêtés par les Portugais qui tiennent à garder l'exclusivité des Moluques. Les autres, restés à bord de La Victoria reprennent la mer, cinglent vers l'Espagne, et arrivent à Sanlúcar le 6 septembre 1522. Il ne reste que 21 survivants dont trois Indiens. Le mardi 9 septembre, «nous, tous en chemise et pieds nus, allâmes, chacun une torche en main, à l'église de Sainte-Marie de la Victoire et à celle de Sainte-Marie de l'Atlantique, comme nous l'avions promis dans les moments d'angoisse.» Lors de l'escale au Cap Vert, les navigateurs, qui se croyaient mercredi, apprirent qu'« il était jeudi, ce dont ils furent ébahis... car tous les jours, moi , rapporte le chroniqueur Pigafetta, qui étais toujours sain, avais écrit sans aucune interruption chaque jour. Mais... le long voyage avait emporté l'avantage de vingt-quatre heures. » Jules Verne s'inspira-t-il de cette expérience dans son roman ?

JUAN SEBASTIAN EL CANO



Né vers 1487 à Guetaria dans la province basque de Guipuzcoa. On a dit de lui qu'il était «quelque peu corsaire», sans doute parce que, lors d'une l'expédition à Oran en 1509, il avait vendu son navire pour se rembourser des dettes que les Finances royales avaient à son égard – ce que Charles Quint lui pardonne après son retour des Moluques. En 1519, il embarque sur la Concepción en tant que maestre et il semble bien qu'il ait participé à la mutinerie de la baie de San Julián. Quand la Concepción est détruite aux Philippines, il s'embarque sur la Victoria dont ses compagnons lui donnent le commandement.
De retour en Espagne, il est reçu par Charles Quint à Valladolid. Le roi lui accorde un blason sur lequel on pouvait voir le globe terrestre surmonté de la devise en latin «primus circumdedisti me» («C'est toi qui le premier m'as contourné»).
Son prestige et son expérience lui valent de siéger, aux côtés d'autres grands noms de la mer, comme Hernando Colón, Sebastián Caboto ou Américo Vespucci, au sein de la réunion qui se tient à Badajoz en avril-mai 1524, pour déterminer si les Moluques sont en territoire portugais ou espagnol. Il participe encore à l'expédition que Charles Quint décide d'envoyer dans les îles des Épices, sous le commandement de García Jofre de Loaísa, comme capitaine de l'un des sept navires qui partent de La Corogne le 24 juillet 1525. Après la mort de Loaísa, le 30 juillet de l'année suivante, en haute mer, il prend la direction de la flotte, mais il meurt à son tour cinq jours plus tard, probablement du scorbut et d'épuisement. L'Espagne honore sa mémoire en donnant son nom au bateau-école de sa Marine Nationale.

(Renseignements historiques d'après une étude de Mme Annie Baert, 
professeur agrégée d'espagnol, docteur en études ibériques. Lehman College)